Les apports solaires directs - Atout et défi

un article de :
Roman Schirmer et Gaël Germano
L’importance des apports d'énergie solaire est souvent sous-estimée. Dans cet article, nous verrons qu’ils peuvent réduire nettement les besoins en énergie de chauffage d'un bâtiment.
En savoir plus sur les auteurs du projet :

L’architecture vernaculaire en témoigne, dans des régions comme la Provence où le soleil est très présent, les habitations rurales et paysannes traditionnelles sont souvent optimisées pour tirer le plus grand avantage de l’ensoleillement tout en se protégeant des excès.  

Ainsi, on y trouve des bâtiments offrant de grandes façades largement ouvertes au sud, tandis qu’au nord, elles sont dépourvues d’ouvertures et parfois même semi-enterrées. Les dispositifs de protection solaire au sud protègent de la surchauffe en été. On y trouve notamment de la végétation à feuilles caduques, des éléments amovibles comme des canisses ou des avant-toits qui bloquent le rayonnement en été tandis qu’ils le laissent passer en hiver quand le soleil est plus bas à l’horizon. (cf. aussi [1])

Cette logique ancestrale conserve tout son sens même dans des régions moins ensoleillées, et ce notamment en Suisse, un pays qui présente un climat relativement généreux de ce point de vue.
L’importance de ces apports en énergie naturelle et gratuite est souvent sous-estimée. Dans cet article, nous verrons qu’ils peuvent pourtant réduire nettement les besoins en énergie de chauffage d’un bâtiment d’habitation isolés selon le standard suisse actuel, la norme SIA 380-1 ( [2], [3], [4]).

UN APPORT D´ÉNERGIE IMPORTANT

En Europe de l’Ouest, une surface perpendiculaire aux rayons reçoit chaque année en moyenne environ 1300 kWh par mètre carré, ce qui correspond environ au cinquième des besoin de chaleur pour le chauffage d’une maison individuelle bien isolée. En raison de la variation de l’élévation du soleil et des conditions atmosphériques, l’apport évolue sensiblement au cours de l’année.
En hiver, avec la réduction de l’angle d’incidence (qui atteint son minimum au solstice), la distance de l’atmosphère traversée augmente. Parallèlement, le ciel est souvent plus couvert en saison froide. Ainsi, la quantité de rayonnement reçu par une surface horizontale est environ 3 fois plus petite en période de chauffe. Sur une surface verticale orientée sud, en revanche, l’apport équivaut toujours à environ 80 % de celui que l’on mesure en période estivale.
Le système d’information géographique photovoltaïque de la commission européenne (PVGIS)1 offre l’accès à une banque de donné très complète qui permet d’estimer précisément le rayonnement incident pour une localité donnée.

Carte de l'irradiation globale annuelle
Figure 1 - Irradiation globale annuelle. En Romandie la valeur varie entre 1’300 et 1’700 kWh par m² et par an.

Par exemple, à Lausanne, pour les années 2016 à 2020, on peut relever sur une surface verticale orientée au sud un apport mensuel moyen de 102 kWh/m² entre avril et septembre et de 80 kWh/m² entre octobre et mars, soit 79% des apports printaniers et estivaux. Sur une surface horizontale en revanche, les apports en automne et en hiver atteignent seulement 35% de ceux mesurés au printemps et en été2.

Figure 2 - Valeurs mensuelles pour l’irradiation à Lausanne 2016-2020. On relève sur une surface verticale orientée au sud en moyenne 80 kWh/m² durant les mois d’octobre à mars et 102 kWh/m² d’avril à septembre.

Le cahier technique SIA 2028 [5] recense, pour 40 stations en Suisse, l’énergie solaire reçue par une surface horizontale ou verticale orientée selon les quatre directions cardinales. En complément aux banques de donnés très complètes, il offre toutes les informations nécessaires à l’établissement d’une première approximation des apports.
Pour illustrer nos propos, prenons comme exemple la station climatique de Pully près de Lausanne. On peut y relever un apport de 420 kWh/m² sur une surface orientée au sud pour la période de chauffe de début octobre à fin mars3.  
Pour donner un ordre de grandeur, 420 kWh correspondent à un radiateur moyen (de 2kW) tournant à plein régime pendant près de 9 jours. Une portion de façade de 8 mètres de longueur, de la hauteur libre d’un étage de 2.5 mètres et totalisant 20 m² reçoit donc l’équivalent en énergie de celle émise par un radiateur tournant à plein régime pendant toute cette période de chauffe de 182 jours.

Des ouvrages à destination d’un public large et qui référencent le rayonnement incident, tel que la SIA 2028 ou l’Atlas européen du rayonnement solaire, [6] sont disponibles depuis les années 1970. Aujourd’hui, en s’appuyant sur les données climatiques informatisées, on dispose d’outils qui permettent d’évaluer assez précisément le rayonnement solaire reçu par une surface donnée, tout en considérant les ombres portés par les objets situés dans l’environnement.

BILAN D’UN VITRAGE SUD


La norme SIA 380-1 :2016 définit des valeurs cibles pour la performance thermique des éléments de l’enveloppe. Cette valeur cible Uta est de 0.80 W/m²K pour les fenêtres, contre 0.10 W/m²K pour des éléments opaques4.  

En s’appuyant sur les données climatiques fournies par le cahier technique, on peut se livrer à un exercice simple, en opposant les apports aux déperditions et ainsi conclure sur le bilan d’une surface vitrée exposée au sud. Par ailleurs, l’ampleur des apports ne varient que relativement peu si on s’écarte à plus ou moins 45º de l’exposition plein sud, sous réserve de spécificités liées au site.

Le tableau ci-dessous résume les apports par m² pour la station de Pully, près de Lausanne, pour la période d’octobre à fin mars. La période de chauffe peut s’étendre au mois d’avril. Ici, les apports pour ce mois sont négligés pour ne considérer que ceux qui sont réellement utiles.

Table 1 - Apports par m² pour la station de Pully, près de Lausanne, pour la période d’octobre à fin mars.

Si l’on admet que la performance thermique de la menuiserie atteint la valeur cible de 0.8 W/m²K et que les fenêtres soient disposées par modules de 2.5m * 2.0 m, soit 5.0 m², on peut estimer la déperdition thermique à 5.35 W/K par module en considérant les ponts thermiques des embrasures de fenêtres.5

En considération d’une température intérieure constante de 20ºC et des températures moyennes mensuelles de la station, on peut établir les déperditions totales à travers la fenêtre.

Table 2 - Déperditions mensuelles d’une fenêtre de 2 x 2.5 m qui atteint la valeur cible de 0.8 W/m²K et en considérant les ponts thermiques des embrasures.

On peut maintenant déterminer les apports solaires transmis à l’intérieur. Pour cela, il faut tenir compte de la part transmise par le vitrage et du ratio entre surfaces de vitrage et surface de la fenêtre.6

Table 3 - Apports solaires transmis à l'intérieur [kWh/m²] en considérant un ration vitrage / cadre de 0.89 et un facteur de transmission solaire de 0.6 réduit de 10% conformément à la SIA 380-1.

On peut ensuite aisément faire le bilan entre apports et pertes.

Table 4 - Bilan apports-déperditions à Pully par m² de fenêtre [kWh/m²]

On constate donc qu’au sud, le bilan est positif pour l’ensemble des mois. À Pully, l’apport théorique moyen pour la période de chauffe est de 135 kWh par mètre carré de fenêtre orientée sud.

La station de Pully présente un bilan relativement élevé comparé à d’autres localités en Suisse. Les résultats pour les villes d’Aigle, de Genève, de Payerne, de Sion et de Zürich sont donnés en annexe.

LES APPORTS DANS UN CONTEXTE CONCRET

La fenêtre sud de 5 m² que nous avons utilisée pour déterminer la valeur U assure donc un apport énergétique de 675 kWh d’octobre à fin mars à Pully.

Pour placer cet exemple dans un contexte concret, on peut imaginer avoir trois de ces fenêtres dans un logement de 110 m². Le besoin réglementaire en énergie de chauffage pour un immeuble d’habitation est en moyenne d’environ 27 kWh/m² par an, soit 2970 kWh / an pour chauffer 110 m² de surface de référence énergétique (SRE7). Les trois fenêtres livrent donc une quantité d’énergie qui correspond à 68 % de la quantité de chaleur produite en complément par le chauffage8.  

Cette surface de fenêtre de 15 m² équivaut à des menuiseries toute hauteur d’une largeur de 6 mètres. Pour un appartement de cette taille, il est aisément possible d’avoir une telle surface de fenêtre orientée au sud. Elle peut être accueillie même par un bâtiment relativement profond.

L’exemple ci-après montre un immeuble schématique d’une profondeur de 16 mètres, composé de 20 appartements d’environ 100 m² utiles, soit environ 110 m² de SRE. Chaque appartement dispose de 15.75 m² de fenêtres au sud.

Figure 3 – Simulation du rayonnement incident sur un immeuble schématique pour la période d’octobre à mars à Pully. Vue d’ensemble et vue rapprochée montrant l’impact des ombres portées.

Un outil de simulation permet de déterminer les apports à travers les menuiseries. Pour cela, le programme est fourni avec les données météorologiques spécifiques à la station de Pully.
La simulation considère la présence des balcons et l’ombre porté par le relief de la façade. D’éventuels écrans séparateurs entre balcons sont négligés. En admettant un ratio de vitrage de 89 % et un facteur de gains solaires de 0.6, l’apport moyen est de 181 kWh par mètre carré de fenêtre, soit près de 57 MWh9 pour l’ensemble des fenêtres sud.
Après déduction des pertes à travers les menuiseries, le bilan est de 114 kWh/m² d’apports nets pour la période de chauffe. Après cette prise en compte assez optimiste de l’ombre portée, les apports correspondent donc toujours à 60 % de la chaleur fournie par le système de chauffage, en référence à la valeur limite admissible.
On peut encore noter que pour cet exemple, les apports solaires sont d’un facteur 2.70 plus grand que les pertes à travers les menuiseries.

Si nous supposons que le bâtiment atteint la valeur cible de 70% de la valeur limite, c’est-à-dire 25,7 x 70% = 18.0 kWh/m², l’apport annuel de chaleur par le système de chauffage de l’immeuble serait limité à 39.6 MWh, tandis que l’apport solaire net serait de 35.9 MWh, soit 91 % des besoins de chauffage.

Il convient encore de noter que seules les ouvertures vers le sud ont été prises en compte ici. Nous avions vu que, selon leur emplacement et à condition qu’elles ne soient pas à l’ombre, les orientations est et ouest pouvaient également contribuer à un bilan positif, bien que leur rendement soit nettement plus modeste.
D’autre part, il est optimiste de supposer qu’il n’y a pas d’ombre portée par l’environnement proche ou lointain.

LIMITATIONS

Dans la réalité, un certain nombre de facteurs vont diminuer les apports ou limiter leur utilité.

D’une part, les abords de la construction comportent des bâtiments ou d’autres obstacles au rayonnement solaire. Les usagers peuvent disposer des objets devant les surfaces vitrées, comme c’est naturellement le cas sur un balcon. Ces masques vont porter de l’ombre et réduire la quantité de rayonnement incident.

D’autre part, des pics d’apports peuvent être trop importants pour être utiles au confort. Ces apports excédentaires seront alors évacués pour éviter une surchauffe.
L’optimisation de l’utilisation des apports disponibles passe alors nécessairement par une inertie thermique bien calibrée. La masse bâtie en contact avec l’intérieur doit être assez grande, disposer d’une surface d’échange suffisante et être placée de façon à pouvoir efficacement emmagasiner les apports excédentaires pour les restituer lentement par la suite.

RÉALISATIONS MINERGIE-P EN ROMANDIE

Le label Minergie-P est le label suisse le plus exigeant en termes de besoin limite de chauffage10. Pour l’habitat collectif, les besoins de chaleur destinés au chauffage ne peuvent pas dépasser 70% de la valeur limite réglementaire qui, comme on l’a vu, est en moyenne de 27 kWh/m² annuels. Le bâtiment doit donc présenter un besoin de chauffage d’environ 19 kWh/m².
La limite Minergie-P pour l’énergie totale destinée au chauffage, l’eau chaude, la ventilation et la climatisation d’un habitat collectif, est quant à elle fixe et ne doit pas excéder 35 kWh/m².
À titre de comparaison, pour des immeubles construits dans la décennie qui a précédé le premier choc pétrolier en 1973, cette consommation est d’environ 175 kWh/m² annuels, soit 5 fois supérieure.
Il va de soi que l’apport solaire opposé à la consommation d’une telle « passoire thermique » sera toujours proportionnellement beaucoup plus petit que pour un bâtiment convenablement isolé.
L’observation de quelques projets labélisé Minergie-P actuellement à l’étude pour l’arc lémanique, nous permettra de juger mieux de l’importance des apports solaires passifs pour les constructions contemporaines locales.
Pour les comparer, un indicateur pertinent est le facteur d’enveloppe. Celui-ci s’obtient en divisant la somme des surfaces d’enveloppe (mur, toit, sol) par la surface de référence énergétique. Plus le résultat est petit, plus le bâtiment est compact et va donc perdre peu d’énergie. On dit d’un bâtiment qu’il est compact lorsqu’il présente un facteur d’enveloppe plus faible que 1.3.

GYMNASE DU CHABLAIS À AIGLE

Le nouveau gymnase du Chablais à Aigle a fait l’objet d’un concours remporté en mars 2021 et sa mise en service est prévue en août 2026.

Figure 4 – Gymnase du Chablais – Vue depuis l’Est – Giorgis Rodriguez Architectes Sàrl – Étude énergétique : Weinmann-Energies

Figures 5 & 6– Gymnase du Chablais – Vue rapprochée montrant les brise-soleils en extension des plancher & Maquette de structure pour le concours

Avec un facteur d’enveloppe proche de 1.2, c’est un bâtiment assez compact. Les salles de classes s’ouvrent sur les 4 façades principales et sur des patios.
Afin de favoriser l’éclairage naturel et en réponse à la volonté de créer un bâtiment transparent et ouvert sur son environnement, les façades sont vitrées à plus de 50% et ce de façon indifférente à l’exposition.
Les abords ne présentent que peu d’obstacles construits qui porteraient des ombres sur les façades. L’ombre portée par les brise-soleils et par le bâtiment lui-même réduisent néanmoins sensiblement l’ensoleillement.

Figure 7 – Gymnase du Chablais – Coupe perspective vue vers le sud

La part des apports solaires nets correspond ici à 14.5 % des apports totaux et à 45.5 % des besoins de chaleur apportés par le chauffage.

Les apports solaires sont d’un facteur 1.62 plus importants que les pertes à travers les menuiseries, et ce malgré la présence de larges surfaces vitrés au nord et dans les patios plutôt ombragés en hiver.

En dépit des pertes relativement importantes à travers les surfaces vitrées, grâce à sa compacité, ce bâtiment reste performant sur le plan énergétique. Avec 22 kWh/m², les besoins annuels en chauffage sont bas et correspondent à environ 70% du besoin limite réglementaire. La consommation répond ainsi aux exigences du label SméOENERGIE + ENVIRONNEMENT visé. Ce label a été créé en 2017 à l’initiative de l’État de Vaud et de la Ville de Lausanne11.  Il est similaire au label Minergie P-ECO.

IMMEUBLE DE 4 LOGEMENTS AU MONT-SUR-LAUSANNE

Figure 8 – Immeuble de 4 logements au Mont-sur-Lausanne – EspAcité Architecture – Étude énergétique : Weinmann-Energies

Avec 70 % des surfaces vitrés qui sont orientées de la sorte, cet immeuble de petite taille privilégie les ouvertures au sud-sud-est et ouest-sud-ouest. Seuls 30% des vitrages ne reçoivent donc pas d’ensoleillement direct en période de chauffe. En façade sud-sud-est, la part de la surface occupée par des fenêtres est la plus élevée, avec 39%. Au nord-nord-ouest, ce taux n’est que de 7 %. En moyenne, il est de 22 %.

Avec 357 m² de SRE, il s’agit d’un bâtiment de petite taille. De ce fait, le facteur d’enveloppe est avec 2.4 relativement élevé, bien que le plan soit compact. Les besoins en énergie de chauffage admis par la réglementation, sont donc plus élevés que pour un bâtiment plus ample.
En effet, rappelons ici que plus un corps est grand, plus la proportion entre la surface qui le délimite et son volume est petit. Pensons aux animaux tel que l’ours polaire, qui vivent dans les régions arctiques. Ils sont plus grands que leurs cousins des climats tempérés car leur taille leur permet de mieux résister au froid.

Le besoin annuel de chauffage est de 34 kWh/m². Ici aussi, cela correspond approximativement à 70 % de la limite admise par la réglementation afin de répondre aux exigences du label Minergie-P. Notons que ce chiffre correspond néanmoins à 155% des besoins au mètre carré du gymnase, pourtant nettement plus ample.

Les apports solaires nets sont de 20.7 kWh/m² SRE, ce qui correspond à 23 % des apports totaux et à 61 % de la chaleur produite par le système de chauffage.

Ici les apports solaires à travers les menuiseries sont d’un facteur 2.43 plus importants que les pertes à travers ces mêmes menuiseries.

HABITAT COLLECTIF À CULLY

Figure 9 – Habitat collectif à Cully – Bonnard et Woeffray Architectes – Étude énergétique : Weinmann-Energies

Pour ce bâtiment d’habitat et de commerces, les surfaces vitrées sont légèrement plus présentes sur les façades avec une orientation sud. Globalement, 34 % des surfaces de façade sont constituées de fenêtres. L’orientation sud-sud-ouest, qui présente le ratio le plus important, compte 60 % de surface de fenêtres.

Le facteur d’enveloppe est de 1.53 pour une surface de 1'585 m² SRE. Il présent une volumétrie moyennement compacte pour un bâtiment de cette taille.

Malgré le contexte urbain, il n’y a que relativement peu d’ombres portées sur les parois d’enveloppe.

Les 14.8 kWh/m² SRE d’apports solaires nets constituent 17 % des apports totaux et 64 % des 23 kWh/m² fournis par le chauffage.

Parmi les trois exemples que nous venons de voir, c’est le bâtiment pour lequel les apports solaires sont proportionnellement les plus grands.

UNE MAISON OPTIMISÉE POUR MAXIMISER LES APPORTS SOLAIRES

Même dans des climats aux hivers brumeux, les apports solaires peuvent jouer un rôle important, comme le montre ici l’exemple d’une maison de 171 m² réalisée en Normandie. Durant les mois d’automne et d’hiver, les apports sur une surface verticale orienté au sud sont d’environ 10 % inférieurs à ceux rencontrés en région lémanique.

Figure 10 – Maison basse consommation en Normandie – Simulation du rayonnement incident d’octobre à mars.

Bien que le gabarit transversal de cette habitation soit compact, sa grande longueur lui confère une volumétrie relativement peu dense. Le facteur d’enveloppe est avec 2.6 légèrement supérieur à celui d’une maison individuelle compacte. Comme nous l’avons vu, c’est à priori un inconvénient sur le plan thermique, car les surfaces de déperdition sont assez grandes en relation à la surface de plancher.

La continuité spatiale intérieur-extérieur fait partie des fondements du parti architectural aboutissant à cette enveloppe déconstruite où espaces intérieurs et extérieurs s’entrelacent. L’espace de vie s’étend à l’extérieur en toute saison. La frontière disparaît en faveur de la sensation d’amplitude offerte par une habitation qui s’étend aux limites du jardin paysager.  

Grâce à une isolation performante pour son époque et à l’optimisation des apports solaires en hiver, leur part dans les apports nets12  de chaleur atteint 61 %13  . Le complément en énergie de chauffage est fourni par une pompe à chaleur (PAC) géothermique dont la consommation électrique annuelle est de 1'240 kWh. La PAC combinée à une distribution de chaleur basse température présente un Coefficient de Performance (COP) de 4.4414 . Elle fournit donc environ 5'500 kWh de chaleur aux planchers chauffants et radiateurs basse température, soit 32.2 kWh/m² SRE. Les apports solaires nets sont de 8’469 kWh, soit 49.5 kWh/m² SRE. Ils correspondent à 154 % de la chaleur produite par le système de chauffage.

Les apports sont par ailleurs maximaux au niveau des pans de vitrage inclinés. Grâce à leur orientation optimisée vis-à-vis du rayonnement incident en hiver, ils présentent un rendement 1.5 fois supérieur au vitrages verticaux.

Cette maison, dont la conception s’est achevée il y a plus de 10 ans, présente ainsi une consommation de chaleur équivalente à celle d’une maison récente labélisée Minergie-P, et ce malgré un niveau d’isolation moins élevé. Ceci concerne notamment les menuiseries qui, à l’exception des grandes baies à l’étage, sont équipées d’un double vitrage nettement moins performant que le triple vitrage couramment employé de nos jours.

Les apports solaires prennent une part très importante et permettent ainsi de compenser les déperditions plus grandes par rapport à une construction de dernière génération. Grace à la géothermie verticale, la consommation effective d’énergie électrique est néanmoins très faible. Avec 7.3 kWh/m² SRE, soit 14.6 kWh/m² d’énergie primaire15, elle atteint la valeur cible de 15.0 kWh/m² pour une maison passive16.

Figure 11 – Maison basse consommation en Normandie – Roman Schirmer Architecte-Ingénieur civil SIA

CONFORT D’ÉTÉ

Le confort d’été doit également être considéré de près. Notamment lorsque l’on vise à maximiser les apports en période de chauffe, des mesures adéquates doivent être prises pour limiter l’ensoleillement en période estivale afin de garantir la fraîcheur des volumes habités.

Ainsi, dans l’exemple de la maison normande, les apports sont limités en été par des stores descendus devant les baies inclinées jusqu’au niveau du plancher d’étage et par des saillies sur les vitrages au rez-de-chaussée. Au printemps et en été, les apports ne sont donc plus que de 30% de ceux mesurés en saison de chauffe.
Grace au concept de ventilation combiné à l’action des sondes géothermiques, ces apports sont évacués.
Une ventilation naturelle qui tire profit d’effets thermodynamiques et des vents dominants permet de ventiler la maison naturellement la nuit en période de grande chaleur.
Ceci est notamment rendu possible par des ouvertures basses qui admettent l’air frais près du sol au nord, et par des ouvertures hautes qui évacuent l’air chaud proche du faîtage de la toiture.

L’inertie thermique permet de conserver la fraîcheur pendant les heures chaudes où les fenêtres restent fermées. Elle est alors ventilée mécaniquement via sa VMC double-flux17 qui permet de rafraîchir l’air apporté par l’extérieur.

En complément, le confort thermique en été est encore augmenté par le "free cooling" géothermique. La seule mise en marche des circulateurs permet d’évacuer la chaleur vers le sous-sol qui présente une température constante de 11.3ºC tout au long de l’année. Les planchers chauffants sont ainsi maintenus frais.

Figure 12 – Maison basse consommation en Normandie – Simulation du rayonnement incident d’avril à fin septembre. Mise en évidence des dispositifs de protection solaire et des ombres portées.

CONCLUSION

Nous avons vu que les apports solaires impactent fortement le bilan thermique d’une construction dotée d’une isolation performante. Avec les matériaux et outils de conception à notre disposition actuellement, il est possible d’optimiser les apports et leur absorption/restitution par la masse bâtie de façon à couvrir quasiment intégralement les besoins en chauffage de bâtiments neufs performants. Dans un tel cas, la production de chaleur servirait donc d’une part d’appoint pour les périodes sombres plus prolongées et d’autre part à répondre à l’exigence du confort contemporain d’une température intérieure constante.

La seule maîtrise de l’exposition des surfaces vitrés ne suffit néanmoins pas à optimiser les bénéfices tirés de l’apport solaire. D’autre facteurs, tels que la disponibilité d’une inertie thermique suffisante et la gestion des obstacles mobiles, sont également déterminants pour la performance finale.

Des innovations peuvent encore sensiblement améliorer le rendement thermique des surfaces vitrées bien exposées. Elles ne sont cependant pas forcément prises en compte par la norme. À titre d’exemple, la mise en place de volets isolants peut nettement réduire les déperditions thermiques la nuit. Ceux-ci ne sont cependant pas considérés dans le calcul réglementaire. De ce point de vue, un effort de la part des fabricants afin d’offrir des produits offrant une plus grande performance thermique, serait également nécessaire.

L’usager joue évidemment un rôle primordial. Il contrôle l’ensoleillement à travers les fenêtres, régule les dispositifs de protection solaire, gère la ventilation et détermine la température intérieure. Dans cette gestion, il peut être appuyé par l’automatisation, mais l’initiative devrait rester sienne. La planification doit favoriser les usages bénéfiques et offrir les possibilités de tirer le meilleur bénéfice de l’environnement.

Cet article s’est essentiellement concentré sur les gains solaires hivernaux afin de réduire la dépendance au système de chauffage. Cependant, la protection solaire joue un rôle primordial en été lorsqu’il est recherché de limiter au maximum les apports solaires pour maintenir une température confortable durant la saison chaude. La gestion manuelle des protections solaires par l’utilisateur a un impact important sur le confort en été.

Enfin, on peut retenir qu’il n’y a pas de recette pour concevoir des bâtiments performants. Différentes approches sont possibles. Un bâtiment très compact peut être efficient même s’il présente d’assez larges surfaces vitrées au nord. Un bâtiment moins compact peut être très efficient s’il optimise les apports solaires. Bien que ces facteurs soient déterminants, on ne peut donc pas exiger d’une construction de forcément être compacte ou d’impérativement éviter les vitrages au nord si les motifs peuvent le justifier.

NOTES

  1. https://re.jrc.ec.europa.eu/pvg_tools/fr/
  2. 58 kWh/m² en automne-hiver contre 167 kWh/m² en printemps-été
  3. On note que cet apport est de 60 kWh/m² inférieur, soit 17 %, à celui donné par le PVGIS. Les données de la SIA couvrent la période de 1984 à 2003, tandis que celles extraites de PVGIS correspondent à la période de 2016 à 2020.
  4. Norme SIA 380-1:2016 p.2.2.2.2
  5. On prend en compte un pont thermique présentant un coefficient linéique de transmission thermique de 0.15 W/mK sur le pourtour de la fenêtre.
  6. Le premier facteur dépend du vitrage. Nous allons prendre la valeur de g = 0.6 fourni par un fabricant pour un triple-vitrage à basse émissivité de dernière génération. À défaut de valeur précise, la SIA 380-1 prévoit un facteur g = 0.5 pour du triple vitrage. Le facteur g est amoindri de 10% selon cette même norme pour tenir compte d’un angle d’incidence différent de 90º et d’éventuelles salissures. Pour le ratio de surface vitrage/fenêtre on admet 0.89.
  7. La SRE est la surface de référence énergétique réglementaire pour le calcul des besoins en énergie. Elle est plus grande que la surface habitable car elle inclut les épaisseurs de mur. Son calcul est régi par la norme SIA 380 :2015
  8. Notons que l’établissement de la valeur de l’énergie nécessaire tient compte des apports solaires. Ils sont déduits des déperditions pour obtenir le besoin en énergie apporté par ailleurs. Il faut également noter que le calcul présenté ici, comprend déjà les déperditions à travers les fenêtres. C’est bien le bilan propre aux surfaces des fenêtre qui est considéré.
  9. Cela correspond à environ 1% de la production d’une éolienne de 2700 kW placée près du col de Saint-Bernard.
  10. Les valeurs limites réglementaire sont à calculer individuellement pour chaque bâtiment et dépend de paramètres qui lui sont propres comme le facteur de forme (sommes des surfaces d’enveloppes divisées par la surface de référence énergétique).
  11. https://www.smeo.ch/ historique/
  12. En déduisant les pertes à travers les fenêtres.
  13. Ici, les apports de chaleur par les appareils électriques et par les personnes n’ont pas été considérés.
  14. COP établi conformément à l’EN 14511 à 5 K.
  15. Compte tenu du facteur de pondération national pour l’énergie électrique selon [8]. L’énergie finale, consommé par le consommateur est, en ce qui concerne l’énergie électrique, environ 2 fois plus petite que l’énergie mobilisée pour sa production et son transport. On multiplie donc la consommation électrique fournie par les services industriels avec un facteur 2.
  16. https://ig-passivhaus.ch/
  17. La VMC (Ventilation mécanique contrôlée) double flux récupère une grande partie de la chaleur/fraîcheur de l’air usé pour préchauffer/rafraîchir l’air neuf.


RÉFÉRENCES

[1] J.-L. Massot, «Masions rurales et vie paysanne en Provence,» Actes Sud, 2004.
[2] SIA, «Norme SIA 380 - Bases pour les calculs énergétiques des bâtiments,» SIA, Zürich, 2022.
[3] SIA, «Norme SIA 380-1 - Besoins de chaleur pour le chauffage,» SIA, Zürich, 2016.
[4] SIA, «Norme SIA 380-2 - Calculs énergétiques des bâtiments - Méthode dynamique pour la détermination des besoins, puissance requise et besoins d’énergie,» SIA, Zürich, 2022.
[5] SIA, «Cahier technique SIA 2028 - Données climatiques pour la physique du bâtiment, l’énergie et les installations du bâtiment,» SIA, Zürich, 2010.
[6] COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, «Atlas européen du rayonnement solaire - Volume I : Rayonnement global sur une surface horizontale,» TÜV Rheinland GmbH, S.I.C. Bruxelles, Köln, 1984.
[7] EnFK, «Fiche technique Fenêtres - La fenêtre dans le calcul de la consommation d'énergie,» Conférence des services cantonaux de l'énergie, Berne, 2021.
[8] EnDK, «Facteurs de pondération nationaux pour l'évaluation des bâtiments,» EnDK - Conférence des directeurs cantonaux d'énergie, Berne, 2016.

LIENS UTILES

• https://energieplus-lesite.be/theories/climat8/ensoleillement-d8/
• https://re.jrc.ec.europa.eu/pvg_tools/fr/
• https://ig-passivhaus.ch/

ANNEXE – BILAN DE L’APPORT POUR DIFFÉRENTES VILLES

Le calcul du bilan entre apports et pertes de fenêtres exposées au sud pour les villes d’Aigle, de Genève, de Payerne, de Sion et de Zürich fournit les résultats suivants :

Pour aller plus loin :
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